Le lycée Pasteur (1)

Publié le par Thierry ROMBAUT

L'entrée en sixième. Quelle étape pour un écolier. Le lycée encadrait les études secondaires de la sixième à la terminale. Pas de collège. Entrer en sixième n'était pas l’apanage de tous les écoliers. Passer en sixième se méritait sur son cursus de l'école primaire après étude des notes et du dossier.

Pas d'examen mais une sélection sur dossier. J'étais donc admis et mes parents de choisir entre le lycée Janson de Sailly rue de la pompe et Pasteur, boulevard d'Inkerman à Neuilly-sur-Seine.

Je fus pris à Pasteur.

J'avais un trac énorme la pression remplaçant l'euphorie de l'admission au fur et à mesure que les semaines de vacances d'été passaient.

Arrive le mois de septembre, retour des vacances, disparition du soleil, période de transition entre la liberté de ne rien faire et l'horizon des devoirs scolaires se dessinant lentement au fil des heures.

Perte de ses camarades, perte des lieux habituels de l'école, découverte de futures salles de classe dans un bâtiment impressionnant où se répartissent quatre grandes cours de récréation, où se mélangent les sixièmes et les grands de terminales qui préparent leur bac. Mes journées à attendre étaient rythmées par la lecture dans ma chambre, le feuilleton télévisé du début d'après-midi juste après les informations. Mes parents m'avaient inscrit à l'école Pascal 33 boulevard Lannes pendant quinze jours afin de remettre en route les habitudes de travail et se remémorer les principales notions apprises en cours moyen.

Le lycée Pasteur est situé boulevard d'Inkerman à Neuilly-sur-Seine. Contrairement à beaucoup de lycées parisiens, il se dresse sans aucune mitoyenneté encadré par les rues Perronet et Borghèse. En arrivant par l'avenue du Roule et empruntant le boulevard d'Inkerman, il apparaît sur la gauche, majestueux, de toute beauté, bien dégagé par les deux cours en avant, clos par une grande grille noire, haute tout du long. Cette grille aux barreaux puissants mais espacés laissent l'architecture du lycée s'exprimer pleinement. La première pierre fût posée au mois de juillet 1912 sous la direction de l'architecte alsacien Gustave Umbdenstock. Un corps de bâtiment principal, l'entrée, constitué de deux étages, central à la base d'une conception en trapèze cernant les cours arrières, surmonté au milieu par une haute flèche portant une horloge de Georges Borel sous laquelle figurent quatre phrases:

 

«Quand l'heure sonne, homme sois debout»

«L'heure française sonnera toujours»

«L'heure revient, l'homme ne revient pas»

«Chaque heure blesse, la dernière tue".

 

Plutôt déprimant.

En avant le long du boulevard l'immense cour de récréation. Et en arrière l'autre cour de récréation .

Cet édifice est construit en briques roses, et les larges fenêtres encadrées par des pierres de taille. Priorité à la lumière pour l'ensemble des futurs lycéens du lycée Pasteur. Toiture en ardoises. Les couleurs dominantes sont le rose, bleu et blanc. Une tour d'angle à gauche complète avec originalité le côté somptueux de ce lieu. Les toitures sont ornées de chiens assis eux aussi en pierre de taille. Il est imposant gracieux élégant et élevé sur un terrain de 13000 m2 bien dégagé, en pleine lumière.

C'est un très bel édifice, un des fleurons de la ville de Neuilly.

 

Plusieurs imposants platanes sont plantés dans les deux cours intérieures ajoutant une belle couleur verte l'été à ces roses, bleus, et blancs. On accède uniquement par ces deux cours aux larges couloirs desservant les salles de classe. A chaque angle, un grand escalier de pierre donnant sur un vaste perron et une double haute porte donnant accès ces couloirs

 

Il s'agit donc d'un édifice en forme de trapèze, entourant la cour intérieure. L'entrée principale encadrée de chaque côté par deux grandes salles de gymnastique de plain-pied, suivies d'un porche là aussi de chaque côté donnant accès aux deux cours arrières. Les couloirs sont alors longs, très long, très très long interminables. Les salles de classe se succèdent d'un bout à l'autre du bâtiment. La direction et les salles des professeurs étant elles situées dans le pavillon central donnant sur le boulevard. Les salles de classe son très hautes de plafond avec plusieurs hautes et larges fenêtres donnant sur les rues ou la cour du lycée et des portes doubles larges, immenses avec de grands carreaux. Toutes les huisseries sont peintes en un gris qui a beaucoup vieilli, écaillé par endroit et tous les sols sont en large planche de chêne grisé par le temps et les entretiens répétés.

Lors de sa création cet établissement était uniquement destiné aux garçons. A mon époque la mixité commençait en seconde.

 

Premier jour de la rentrée. Mon père m'accompagne à pied. Nous descendons l'avenue de la Grande Armée, empruntons la porte Maillot puis la rue de Chartres, l'avenue du Roule et enfin le boulevard d'Inkerman à droite. Je ne me souviens pas avoir eu la moindre angoisse, au contraire, de la fierté et l'envie de travailler dans ce lieu, rencontrer de nouveaux camarades, parti pour sept années de vie afin d'obtenir le baccalauréat.

 

Je commence en sixième A 7 (6A7). A, car classe avec option latin à la demande expresse de ma mère pour qui la connaissance du latin s'impose à toute personne désirant explorer les fins fonds de la langue française. Mon professeur de Français et latin se nommait Monsieur Portier. Un homme de petite taille en costume de tweed ou de laine aux cheveux poivre et sel, visage orné d'une moustache se continuant par une barbiche. Il était vosgien comme ma mère. J'aimais les cours de français, nous avions le BLED comme livre de référence, mais je détestais le latin. Donc l'année suivante devant mes notes déplorables je passais en cinquième dite moderne.

Cinquième M1, M signifiant moderne, en effet ne pas apprendre le latin nous faisait sortir de la classe élitiste des intellectuels classiques potentiellement élèves brillants pour sombrer dans la catégorie inféreure dite moderne donc en avance mais néanmoins attardée. Il a fallu les évènements de 68 pour redresser la situation.

Enfin plus de latin à la grande déception de mes parents. Un élève brillant faisait du latin. Eh bien moi non.

Nous étions au moins trente par classe voire trente-cinq, ce qui ne nous offusquait pas le moins du monde.

Au contraire, le choix de copains était large.

Mon premier ami se nommait Jean-Marc Pillas, et habitait en bas de l'avenue de la grande armée près de la brasserie Le Congrès. Il ne restât que quelques mois puis disparu de notre classe. Je je retrouvais des années plus tard comme journaliste et rédacteur en chef adjoint sur TF1.

 

Un autre camarade, me donnât l'envie de m'inscrire dans un club de modélisme du lycée. Nous étions dans la même classe en cinquième. Il était responsable de ce club. Du genre maniaque assidu, soigneux et solitaire. Le hasard faisait que l'activité se déroulait dans notre salle de classe principale. Deux armoires au fond étaient destinées à ranger le matériel et nos réalisations en cours. Nous construisions tous les deux des bateaux. Le surveillant général du lycée dont je vous parlerai plus tard nous autorisait à venir après les heures de classe et le samedi.Il écoutait la BBC en même temps qu'il assemblait son bateau. Il arguait que cela lui permettait de parfaire son anglais. Construire un modèle réduit n'est pas simple. Il faut suivre avec exactitude un plan acheté dans les magasins spécialisés comme on en trouve à Paris. Mon père déjà pris par cette passion m'avait fait connaître ces endroits. Central Train c'était le lieu culte dans les années 70.

Le bois utilisé était du contre-plaqué fin et du balsa.

C' est une espèce d'arbre pouvant atteindre quarante mètre de haut, originaire des forêts équatoriales d'Amérique du Sud et d'Amérique centrale. Bois fragile, cassant très léger, tendre facile à travailler. Les plans détaillaient chaque pièce du bateau qu'il fallait dessiner et découper dans le bois. Tout était à réaliser dans les moindres détails. Une fois toutes les pièces terminées venait la phase d'assemblage. Tous d'abord la coque du bateau que l'on montait à l'envers, sur un plan de travail. Les traverses fixées selon les cotes du plan verticalement puis la coque elle-même construite comme sur les vrais navires en bois, à l'aide de longues baguettes de balsa de cinq millimètres de large disposées dans le sens de la longueur. Tout cela avec moult patience. Une fois terminé la coque était détachée du plan de travail remise dans le bon sens et là venait la phase de dépose d'un enduit hydrophobe destiné à obstruer les pores du bois et les espaces entre les lattes afin d'assurer une étanchéité parfaite du bateau ce qui est la moindre des choses dans ce contexte! Phase agréable plaisante qu'était celle du ponçage final de la coque enduite, là où toute la beauté du bateau se révélait alors dans ses formes arrondies oblongues douces et éfilées. Restait ensuite la dépose de la peinture et le travail était terminé. La coque restait rangée dans l'armoire et le lundi en cours dans cette classe, je savais que ma coque était cachée près de moi, un secret partagé dans l'atmosphère studieuse, apportant un peu de réconfort mystérieux, comme un privilège accordé après avoir mérité cela dans les suite d'un travail minutieux.

 

 

Un autre des mes camarades, grand, mince châtain claire à la voix en mue, adolescent boutonneux, discret qui vivait aussi dans le même quartier que moi. Passionné d'électronique il se ravitaillait en composants dans ce fameux petit magasin de la rue Duret. C'est lui qui m'a permis de réaliser que je pouvais égaler mon père dans ce domaine et je m'inscrivais alors au club du lycée mais lorsque j'étais en quatrième. C'est à dire une année après la phase modélisme. En fait je réalise que je ne m'attachais pas longuement à un hobbie mais préférais plutôt découvrir d'année en année de nouvelles passions afin de varier les plaisirs. Est-ce à l'image de mon père qui lui aussi touchait à tout ?

J'ai l'impression que je rassemblais toutes les passions de mes parents puisque la musique apportée par ma mère m'habitait aussi. Le piano, le violon, la batterie...

Un local sombre glauque, poussiéreux à gauche du porche gauche. On y accède par une grande porte grise, usée, double, aux vitres opaques. Une pancarte vissée sur le côté arbore la mention: "Club d'électronique". On entre et aussitôt un petit escalier montant conduit à une grande mezzanine bien éclairée par la fenêtre donnant sur la rue Peronnet. Le club d'électronique, le coin des intellos ayant le sens technico-pratique visant un futur BTS ou IUT voire ingénieur. Un long établi à l'étage bourré d'appareils de mesures, voltmètre, ampèremètre, oscilloscope, alimentation continue, résistances, condensateurs, transistors, triacs, jonchent les tables voire les coins de la pièce. En cours la réalisation d'un amplificateur complètement ouvert, à l'air libre, le transformateur branché sur le 220 volts sans protection! Le fer à souder encore fumant, le pilier du club se retourne vers moi, me salut et me souhaite la bienvenue.

Il me désigne une pile de revues intitulées "Radio-plan" et "Le Haut-Parleur".

 

- Je connais ces revues, mon père les achète dis-je avec un air de connaisseur.

- Ouais, elles sont supers. L'ampli en cours de montage vient du dernier numéro.

- Où achètes-tu les composants ?

- A Nation, ou gare du nord, tiens les adresses sont à la fin du "Haut parleur".

- Vous avez le matériel pour réaliser les circuits imprimés?

  • Oui, les plaques de bakélites cuivrées et l'acide. Les stickers pour le tracé des circuits sont dans le classeur là derrière oscilloscope.

     

En 1965 les circuits étaient dessinés sur les plaques recouvertes de cuivre, facilité par la pose de stickers. Il fallait redessiner ce plan en suivant les modèles publiées sur les revues techniques dont je parle plus haut. Une fois tracé sur la plaque de cuivre, celle-ci était plongé dans de l'acide afin d'éliminer tout le cuivre déposé sur la plaque. Les parties protégées par les stickers restaient elles intacts. Le circuit était prêt. Il suffisait de placer ensuite les composants électroniques, condensateurs, transistors, résistances, diodes selon les indications fournies par la revue spécialisée.

 

Et je me lançais dans la réalisation d'un amplificateur stéréophonique à l'époque où mon père était à des kilomètres de l'idée d'acheter un amplificateur de marque. Mes amis me fournirent le plan et je listais alors sur un papier l'ensemble des composants à rassembler et acheter dans le magasin spécialisé. Patiemment, le samedi au club, mon fer à souder à la main j'assemblais les éléments après avoir bien sûr réalisé le circuit imprimé. La phase finale résidait dans le montage de l'alimentation transformant le 220 volt des prises de courant en courant continu grâce à un pont de diodes.

Je rapportais mon amplificateur à la maison avenue de la grande armée et branchais en entrée une platine vinyle, et deux haut-parleurs en sortie. Quelle ne fut pas ma joie et ma fierté d'entendre la musique s'exprimer au travers des enceintes! Mon chef d’œuvre électronique trônait au centre de ma chambre, complètement terminé mais sans aucune protection, aucune ébénisterie, uniquement le socle en acier plat sur lequel tout l'assemblage avait pris forme, en particulier le transformateur d'alimentation les deux bornes du 220 volts bien au-dessus à l'air libre. restait donc à concevoir une coque afin que tout cela soit bien protégé et présentable.

Je réfléchissais et me retournais pour prendre un cahier et un stylo afin de dessiner mon futur plan.

Etant assis en tailleur je pris appui sur le tapis fin de mieux me tourner et une onde de choc vibratoire intense parcouru en un éclair mon bras et mon torse. En un instant tout bascule, mon corps vibre comme une corde d'acier tendue entre deux piliers les pensées s'effacent d'un coup, le monde disparaît pour laisser place à un vide cosmique brutal tétanisant, me projetant un mètre plus loin. Plus rien le monde ré-apparaît, ma chambre, l'ampli, je n'ai pas perdu connaissance, le temps coule toujours, rien n'est changé, que s'est il passé ? Je viens de faire connaissance avec le 220 volts ! En prenant appui sur ce que je croyais être le sol de la chambre j'ai posé la paume de ma main sur les cosses d'alimentation du transformateur. Erreur d'orientation spatiale, mes yeux ne me servant pas de guide. Et boum le courant me traverse. Du 220 volts, ce n'est pas une tension de fillette. Quel choc, on ne l'oublie jamais, la preuve. Est-ce douloureux, je ne peux plus le dire, c'était si bref mais si violent. Un coup de poing brutal sans douleur.

Je restais une année inscrit à ce club et réalisais aussi un variateur de lumière, circuit contrôlant la puissance de l'éclairage de quatre lampes, rouge, jaune, verte, bleue, en fonction de l'intensité rythmique de la musique, chaque couleur se référant à un segment de fréquences allant de 50 Hz à 20 000 hz. Afin de mettre de l'ambiance quand on anime des soirées dansantes et toujours utilisé de nos jours.

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